Surtaxation des CDD: l’Etat s’immisce dans la négociation sur l’assurance chômage
Paru dans 20 Minutes, le 11 avril 2016 :
En imposant de moduler les cotisations d’assurance chômage pour lutter contre les contrats courts, Manuel Valls a suscité lundi des réactions hostiles des partenaires sociaux, patronat en tête, qui ne seront pourtant pas obligés d’aller au-delà des surtaxations déjà en vigueur.
Le Premier ministre a annoncé, entre autres mesures pour l’insertion des jeunes, un «amendement au projet de loi Travail» rendant «obligatoire la modulation des cotisations patronales d’assurance chômage». Objectif: «renchérir les contrats courts» (CDD, interim) et inciter à embaucher en CDI.
Le «niveau précis» et les «modalités» de cette mesure «seront établis par les partenaires sociaux lors de leur négociation sur l’assurance chômage», qui a démarré en février et qui doit aboutir, au 1er juillet, à une nouvelle convention, a précisé le Premier ministre.
La surtaxation des contrats courts n’est pas une nouveauté.
Depuis juillet 2013, les partenaires sociaux ont instauré une majoration des cotisations patronales d’assurance chômage pour certains CDD de moins de trois mois. Normalement fixées à 4% du salaire brut, elles sont portées à 4,5%, 5,5% ou 7% selon la durée du contrat.
Mais cette mesure ne concerne que certains CDD – d’usage ou pour surcroît d’activité – et exclut l’intérim.
En inscrivant le principe d’une surtaxation dans la loi, le gouvernement pose une contrainte aux négociateurs de l’assurance chômage. Mais l’amendement n’obligera pas les partenaires sociaux à aller au-delà de la surtaxation en vigueur aujourd’hui, assure-t-on au ministère du Travail.
Cette nouvelle incursion dans le pré carré des partenaires sociaux, après la sanctuarisation dans la loi en 2014 du régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle, n’est pas du goût des premiers concernés.
L’annonce a fait bondir la CGPME, qui a menacé de quitter la négociation en cours, pour ne pas «être complice de ce coup de poignard porté dans le dos des entreprises».
«Taxer les CDD n’est pas une solution» et «ne crée pas d’emplois», a renchéri le Medef dans un communiqué. Si elle ne ferme pas la porte à une modulation des cotisations, l’organisation patronale a déjà prévenu qu’elle exclut toute «hausse globale des cotisations» dans le cadre de la négociation d’assurance chômage.
– ‘Pourquoi on s’embête à négocier ?’ –
Le Medef et la CGPME figuraient pourtant, en 2013, parmi les signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi, qui instaurait la surtaxation actuelle.
Les syndicats, quant à eux, sont partagés. D’un côté, ils réclament unanimement de jouer sur les cotisations pour pénaliser les employeurs qui abusent des contrats courts. Mais sur la forme, plusieurs syndicats dénoncent une nouvelle brèche dans la gestion paritaire de l’assurance chômage.
«Moduler les cotisations, c’est une revendication qu’on porte, mais ça ne nous semble pas opportun que la loi vienne interférer dans la négociation. Ce n’est pas de nature à ce qu’elle se passe le plus sereinement possible», a réagi Véronique Descacq (CFDT) auprès de l’AFP.
Selon elle, «c’est plus de la com’ du gouvernement qu’autre chose».
«Ce sont des effets d’annonces», estime aussi Eric Courpotin, son homologue de la CFTC, qui «dénonce» la «façon de faire»: «C’est encore un moyen de pression supplémentaire sur les partenaires sociaux», qui «brouille les cartes de la négociation».
«Pourquoi on s’embête à négocier ? Si le gouvernement veut reprendre la main et tout s’approprier, qu’il le fasse !» s’est-il emporté.
Au ministère du Travail, on se défend de toute ingérence. «Le gouvernement est dans son rôle quand il donne son orientation pour lutter contre l’hyperprécarité», estime-t-on, tout en rappelant que «ce sont les partenaires sociaux qui définiront l’ensemble des modalités».
De son côté, Matignon vante un «instrument efficace de lutte contre la précarité».
La surtaxation instaurée en 2013 n’a pourtant pas permis d’enrayer l’inflation des recrutements en CDD, qui représentaient encore 87% des embauches, hors intérim, fin 2015.